Bien que l'on dise souvent que le référendum tel qu'il est employé au Canada est un exercice de démocratie directe, ce n'est pas le cas en raison de l'usage confus que l'on fait du terme « référendum ». Aux États-Unis, ce terme signifie le renvoi d'une proposition législative à un vote populaire à l'instigation des citoyens. Le résultat de ce vote est exécutoire. Autrement dit, les électeurs adoptent directement des lois, sans passer par l'assemblée législative, ce qui explique que l'on parle en pareil cas de démocratie directe.............................................................................................................................
Les référendums sont l'application à de vastes populations de la pratique de démocratie directe en usage dans les réunions de cantons suisses ou les assemblées publiques d'électeurs de la Nouvelle-Angleterre, où des lois sont encore adoptées et des impôts levés directement par les électeurs. Ce genre de référendum est un exercice de démocratie directe, en ce sens que les électeurs adoptent véritablement une loi s'ils approuvent la proposition qui leur est presentée.
L'autre signification du terme, celle qui est maintenant adoptée au Canada, est le renvoi d'une question à un vote populaire dont l'issue n'est pas exécutoire pour le gouvernement ou l'assemblée législative de qui elle émane. Un gouvernement ou une assemblée législative peut faire fi de son résultat et cela s'est souvent produit. Par conséquent, un référendum non exécutoire n*est simplement qu"un sondage d'opinion publique coûteux. On peut faire valoir que les sondages sont meilleurs, car ils sont menés aupres d'un échantillon scientifique de l'ensemble de la population adulte, alors que, dans un référendum à la canadienne, il est possible que très peu de gens votent. Par conséquent, il pourrait arriver facilement qu'un vote majoritaire ne reflète pas l'opinion majoritaire de l'ensemble de l'électorat. II serait plus juste d'appeler ce genre de référendum un plébiscite. Mais, bien souvent, ces termes sont utilisés de façon interchangeable au Canada. Par exemple, Patrick Boyer a intitulé son ouvrage de 1992 « La démocratie directe au Canada: L' histoire et l'avenir des référendums », même s'il portait surtout sur ce type de référendum. À mon avis, son titre est trompeur parce que la plupart des votes directs menés au Canada ont été de nature non exécutoire, qu'on les ait appelés référendums ou plébiscites. Par conséquent, ils ne constituent pas vraiment une forme de démocratie directe.
Il faut se rappeler qu'un plébiscite ou un référendum consultatif n'est pas un exercice de démocratie directe car c'est l'assemblée législative qui prend la décision finale.Malheureusement, on suscite la confusion lorsqu'on emploie le même terme pour les référendums exécutoires et non exécutoires et qu'on dit dans les deux cas qu'il s'agit de « démocratie directe », car ils sont fondamentalement très différents. Dans nos discussions, nous aurions intérêt à préciser de quel type de référendum nous parlons en employant, le cas echéant, l'adjectif « non exécutoire » ou en parlant simplement de plébiscite ou de référendum consultatif, car il s'agit d'une simple consultation auprès de l'électorat.
Le genre de référendum prévu dans le projet de loi récemment soumis par le gouvernement Harris de l'Ontano ne saurait, à strictement parler, être considéré comme un mécanisme de démocratie directe. Même s'll exige du gouvernement qu'il tienne des référendums sur des changements constitutionnels ou des augmentations d'impôt et qu'il permette aux électeurs de prendre l'initiative dans d'autres dossiers, le résultat ne lie ni le gouvernement ni l'assemblée législative. Souvenez-vous que, à l'occasion d'un référendum consultatif au sujet du Toronto métropolitain, la population s'est prononcée par une forte majonté contre la fusion des municipalités, mais le gouvernement Harris a fait fi du vote et imposé la fusion de toute façon. Toute initiative des citoyens exigera qu'une pétition en vue de la tenue d'un référendum soit signée par 700 000 personnes représentant 10 p 100 des électeurs dans chacun des neuf districts judiciaires de l'Ontano. Selon les détracteurs de la formule, ces exigences sont beaucoup trop limitatives pour que les citoyens puissent s'en prévaloir fréquemment, si tant est qu'ils le puissent, pour réclamer un référendum. Ainsi, une pétition réclamant la tenue d'un référendum sur le gouvernement de Toronto exigerait l'appui de l'ensemble de la province, y compns 10 p 100 des électeurs dans un district du Nord de l'Ontano et, à l'occasion du référendum proprement dit, au moins 50p 100 des électeurs doivent voter. Par conséquent, le référendum pourrait passer avec une majonté de 25 p 100 plus un seulement des électeurs de l'Ontano.
Si nous utilisons aujourd'hui au Canada le terme référendum pour décrire surtout une consultation non obligatoire, c'est que, au début du siècle. les provinces de l'Ouest ont fait l'expérience du référendum obligatoire. La formule a été abandonnée, car la loi du Manitoba sur le sujet a été déclarée anticonstitutionnelle en 1919, principalement au motif qu'elle usurpait le pouvoir du Lieutenant-gouverneur d'opposer son véto à la loi à titre de représentant de la Couronne. Elle portait également atteinte au pouvoir du gouvernement fédéral de nommer les Lieutenants-gouverneurs et de leur donner des instructions.
Les provinces de l'Ouest avaient été influencées par l'évolution de la démocratie directe dans les États de l'Ouest des États-Unis, qui mettait habituellement en cause l'initiative des citoyens, le référendum et la révocation. Dans un quart des États environ, les citoyens pouvaient formuler une proposition et la soumettre directement à l'électorat, outrepassant ainsi complètement les assemblées législatives, dont bon nombre avaient d'ailleurs mauvaise réputation. Comme on peut le constater, l'initiative était étroitement liée au référendum obligatoire et à la révocation. Elle permettait à un petit pourcentage d'électeurs 1) de forcer l'assemblée législative à agir au sujet d'une proposition, 2) d'exiger un référendum sur une loi proposée par un ou des électeurs ou 3) de réclamer un vote sur la révocation d'un membre de l'assemblée législative. Par exemple, le projet de loi présenté en Saskatchewan en 1913 exigeait que 5 p 100 des électeurs signent une petition pour pouvoir obtenir la tenue d' un référendum. Cependant, ce projet de loi n'a pas obtenu le taux exigé de 30 p 100 d'approbation de l'ensemble de l'électorat. On peut donc dire qu'il a été rejété sur la base de son propre principe : la démocratie directe. Un projet de loi analogue a été adopté en Colombie-Britannique en 1919. mais n'a jamais été proclamé, sans doute en raison de la décision rendue par tribunal au sujet de la loi du Manitoba la même année. La loi albertaine de 1913 a contourné le problème constitutionnel en n'exigeant pas que l'issue du référendum soit obligatoire. Le résultat c'est que l'obstacle constitutionnel à la démocratie directe qui existait en 1919 existe toujours, sans qu'on puisse espérer une modification de la Constitution.
Par conséquent, les gouvernements fédéral et provinciaux ont adopté des lois autorisant la tenue d'exercices qui sont essentiellement des plébiscites mais qui, dans la plupart des cas, ont tout de même été appelés référendums. Toutes les provinces, à l'exception de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontano, disposent maintenant d'une telle loi, et on a eu fréquemment recours à ce type de référendum au Canada depuis la Conféderation. Dans son ouvrage, M Boyer dresse la liste de 60 référendums fédéraux ou provinciaux tenus avant 1992, la Colombie-Bntannique venant au premier rang avec 11. Les provinces ont également des lois prévoyant des référendums municipaux, et il y en a eu bien davantage à ce palier.
Les mécanismes de destitution des membres de l'assemblée législative n'ont pas été aussi populaires au Canada qu'aux États-Unis, peut-être parce que, au Canada, on estimait que le référendum exécutoire constituait un mécanisme suffisant de contrôle de l'assemblée législative. L'Alberta a été la seule province à prévoir la destitution, et encore, pas avant 1936. Cependant, cette initiative s'était soldée par l'embarras du premier ministre Aberhart et de son gouvernement. En effet, la seule tentative de révocation visait le premier ministre lui-même, dans sa propre circonscnption. Son gouvernement a doné précipitamment abrogé la loi sur la révocation en octobre 1937.
Les régimes autoritaires ont souvent eu recours au référendum consultatif pour faire étalage de l'approbation populaire d'une mesure arbitraire. Ces régimes truquent le vote pour être sûrs d'obtenir une écrasante majorité favorable.Cependant, l'intérêt pour le processus de destitution a été ravivé récemment, particulièrement par le Parti réformiste. La Colombie-Bntannique en est un bon exemple. À l'occasion d'un référendum consultatif tenu en 1991, 74 p 100 des électeurs ont appuyé l'idée d'une loi sur la révocation. Le gouvernement a ensuite adopté sa Recall and Initiative Act en 1995. Cette mesure prévoit un vote de destitution exécutoire après dix-huit mois si 40 p. 100 des électeurs d'une circonscription signent une pétition en ce sens. Le mécanisme a été rapidement mis à l'essai en octobre 1997 contre deux députés de l'assemblée législative provinciale, l'un d'eux un ex-ministre du gouvernement Clark. Cependant, on n'a pas réussi à obtenir le taux de 40 p. 100 d'approbation nécessaire. L'autre tentative a pris la forme d'une pétition visant la révocation du député provincial Paul Reitsma. Le processus a été amorcé en avril 1998 après qu'il fut révélé qu'il avait écrit dans les journaux des lettres louangeuses à son endroit, qu'il avait signées d'un faux nom. M. Reitsma a démissionné par la suite. Dans l'intervalle, la B.C. Civil Liberties Association a contesté la constitutionnalité de la loi devant les tribunaux, invoquant essentiellement les mêmes raisons que dans l'affaire de 1919 concernant le référendum obligatoire.
Même si on ne peut affirmer qu'un référendum consultatif est un exercice de démocratie directe, on y a eu recours fréquemment au cours du siècle tant dans des pays démocratiques que non démocratiques, et sa popularité a augmenté. On trouve un excellent examen de la situation dans un ouvrage rédigé en 1994 par David Butler et Austin Ranney, sous le titre Referendums Around the World. On y trouve des renseignements au sujet d'environ 550 référendums importants, à l'exception de ceux tenus en Suisse et aux États-Unis, foyers de la démocratie directe, où ont eu lieu autant de référendums que dans tous les autres pays réunis. Ces cas importants sont répartis en deux catégories, les référendums nationaux et les référendums menés dans 140 territoires subordonnés, y compris ceux portant sur l'indépendance et la séparation, comme ceux du Québec. Ainsi, les lecteurs qu'intéresse le concept du « neverendum referendum » au Québec peuvent facilement s'informer sur cette situation en particulier. Dans chaque cas, la liste précise le pays, l'année, l'objet—ce qui est fort utile—le résultat du vote ainsi que la participation au scrutin. Cela est particulièrement intéressant étant donné que la participation electorale revêt beaucoup d'importance pour obtenir un vote majoritaire auprès de l'ensemble de l'électorat.
L'étude Butler-Ranney révèle que le référendum consultatif n'est pas nécessairement un outil démocratique. Comme nous l'avons mentionné, le problème tient au fait que la majorité exprimée dans un référendum peut être loin de la majorité de l'électorat. Toutefois, ce qui est plus grave, c'est que la démocratie se fonde non seulement sur la régie de la majorité, mais également sur le compromis et la protection des droits des minorités. Par consequent, un vote majoritaire peut supplanter ces droits, et c'est ce qu'on appelle souvent « la tyrannie de la majorité ».
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Source: Don Rowat, Nos référendums ne sont pas de la démocratie directe, 26 Revue Parlementaire Canadienne, Vol. 21, No 3, Automne 1998
Same article in English: Don Rowat, Our Referendums are not Direct Democracy, 26 Canadian Parliamentary Review, Vol. 21, No. 3, Autumn 1998
Au moment de rédiger cet article, Don Rowat était professeur émérite de sciences politiques à l'Université Carleton, d'Ottawa. Il était ex-président du Groupe canadien des études des questions parlementaires. Le présent article est la version révisée d'une communication présentée lors de la conférence printanière du Groupe.
Professeur Donald Rowat, qui a enseigné des sciences politiques à l'Université de Carleton pour plus de 40 ans, était l'expert académique de référence le plus réputé au Canada sur les médiateurs et la surveillance d'agences publiques. Il s'éteint à l'âge de 87 ans à l'hôpital à Ottawa le 2 décembre 2008 après une carrière longue et prolifique.
Remerciements : Le texte de base de cet article pour fins de ce blog a été obtenu en soumettant le fichier pdf au processus OCR* en ligne, service gratuit proposé par www.ocrterminal.com. Il est à noter que j'avais à relire le texte et à y ajouter les accents. Pour cette fin, je m'en suis servie de http://french.typeit.org/.
* OCR = Optical character recognition, à savoir « logiciel de reconnaissance optique de caractères »